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Hommage à Edmond Rostand

par Emile Trolliet

Hommage prononcé lors de la représentation donnée en matinée le 3 mars 1898 au profit des pauvres de la Conférence de Notre-Dame des Ecoles?


Poète, sois heureux : car c'est ton vieux Collège

Qui voulut envahir la Porte Saint-Martin,

Et près de toi, par toi, goûte le privilège

De s'asseoir en famille à ton royal festin.



Poète, sois heureux : car, fervent d'allégresse,

Tout un peuple d'amis se presse avidement

Vers la coupe enchantée où tu versas l'ivresse

De ton vin généreux au clair pétillement.



Poète, sois béni : car le siècle était sombre,

Et, né dans la splendeur, finissait dans le deuil ;

Mais ton ?uvre apparut, et fit du jour dans l'ombre,

Astre de ton couchant au fleur de ton cercueil,



Et peut-être encor mieux, une aurore qui lève,

Un âge qui commence... et l'on reste incertain

Si la fraîche lueur où scintille ton rève

Est l'étoile du soir ou celle du matin.



Oui ! l'Arachné du Nord, au ciel de notre Gaule,

Filait de la tristesse, et tissait de la nuit ;

Mais, superbe, tu vins, trouant d'un coup d'épaule

Le réseau de torpeur et le plafond d'ennui.



Tout le pôle chez nous débarquait, sans vergogne ;

Mais l'enfant du soleil, mousquetaire ou lion,

Conduisant au combat les enfants de Gascogne,

Fit enfin reculer l'obscur Septentrion.



Vainqueur, la France a pris ta victoire pour sienne ;

Car ton drame ressemble à son meilleur passé ;

Ta jeune frondaison, c'est sa richesse ancienne ;

Et quel arbre jamais sans racine a poussé ?



Le tien plonge au sol pur, au vrai sol atavique,

D'où la sève monta de verve et de gaîté ;

Et la chevalerie au souffle magnifique,

Comme un clairon de gloire en sa cime a chanté.



Dans sa souple verdure, elle aussi, la ballade

Fit de ses rimes d'or sonner le cliquetis ;

Et le burlesque même en tente l'ecalade,

Mais âpre aux seuls félons et clément aux petits ;



La tendresse a son tour visite son feuillage,

Et Roxane au balcon sent parfois sous sa main

Des mots divins et doux le caressant sillage

« Descendre tout le long des branches de jasmin » ;



et tandis que l'Amour, oiseau subtil s'y cache,

La Chimère y suspend son splendide oripeau,

Et Cyrano mourant, son immortel panache,

Hautain comme un cimier, sacré comme un drapeau !



Ah ! pour ce fier panache où flotte une espérance

D'intrépide réveil et d'avenir vainqueur,

Pour ton c?ur si français, la jeunesse de France

A toi, jeune comme elle, apporte tout ton cour.



Sous sa tunique, vois, la jeunesse s'approche,

Vibrante à ton appel et prête au combat ;

Et pour tout chevalier « sans peur et sans reproche »

Sentant à coups pressés sa poitrine qui bat.



Jette-lui tes beaux vers pour qu'elle les savoure ;

Jette à ces affamés, bouches et c?urs ravis,

L'enthousiasme saint, l'honneur, et la bravoure,

Tous ces fruits d'héroïsme à ton banquet servis.



Sois leur amphitryon, leur charmeur... et leur maître,

Car les Cyranos morts font d'autres Cyranos :

A ton école exquise un artiste peut naître,

A tes mâles accents peut surgir un héros.



Ainsi, le but sublime à tes yeux se dessine.

Monte aux sentiers de l'Art, pèlerin éclatant :

Port-royal ses travaux à racine,

Stanilas, moins austère, applaudira Rostand.



De t'égaler à Lui je n'ai pas cette audace,

Et toi même sait bien que tu fis autrement ;

Mais au sommet du Pinde il est plus d'une place ;

Plus d'une aile en voyage au fon ddu firmament.



Poursuis donc en plein ciel ta lumineuse voie,

Et ton Collège, - aînés et cadets réunis, -

De ta part de triomphe aura sa part de joie :

C'est le vol des aiglons qui fait l'honneur des nids.



Emile Trolliet



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Publié le 10 / 02 / 2006.


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