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Lettre à Roxane

Comment un jour Roxane reçut une lettre... et y répondit...

Se faire passer pour Cyrano, et écrire à Roxane. Mordious, voilà que Christian fait des émules...


Oscar faisait de l'huile.



Dans un instant, il saurait. Il saurait s'il figurait parmi les lauréats du concours de poésie organisé par sa station de radio favorite : imaginez, en deux pages maximum (format standard), une suite à Cyrano de Bergerac, sous forme d'une lettre que le héros fait parvenir post-mortem à sa bien-aimée Roxane, dans les bras de laquelle il a rendu le dernier soupir. Il lui racontera sa vie là-haut et lui dira tout ce que sa fin prématurée l'a empêché d'exprimer au moment des aveux. Un jury présidé par M***, auteur dramatique à succès que l'on ne présente plus, désignera les dix meilleures lettres, lesquelles seront lues à l'antenne par un comédien. De plus, le vainqueur se verra offrir un stage d'écriture dans un parnasse littéraire du midi de la France.



Oscar était un fan de Cyrano. Il pouvait en réciter des passages entiers de mémoire. C'était de famille.



Son père avait un culte pour l'esprit fin, cultivé, si délicieusement français, de Rostand, pour la beauté des vers, le génie du scénario, l'émotion que dégageait son théâtre. Son grand père, déjà, entretenait un culte sans faille pour le grand dramaturge, et Oscar, qui n'avait pas connu cet aïeul emporté trop tôt par la maladie, gardait précieusement, comme une relique, une lettre de quarante pages où le vieil homme se racontait à sa famille, et qui comportait, citée de mémoire, la scène des gascons affamés au siège d'Arras.



C'est donc avec enthousiasme, fièvre même, et non sans un sentiment de piété familiale mêlé de fierté que le petit fils prit sa plume pour concourir. Intentionnellement, il choisit un Rotring calligraphique 1,5 mm, dont l'écriture profilée encourageait toujours tant et plus l'adjonction de mots nouveaux.



Le beau au service du beau.

Il s'était déjà mesuré aux pièges de la versification (n'avait-il pas commis une comédie de quatre mille cinq cents vers, toujours en attente de retour de mode pour tenter de passer la rampe ?), et il estimait maîtriser suffisamment l'alexandrin classique : c'est pourquoi l'exercice supplémentaire auquel le concours l'enjoignait de se livrer, loin de le rebuter, lui fit courir le long de l'échine le frisson délicieux qui présage les grands moments de la vie.



Car bien sûr, il n'était pas question d'écrire cette lettre en prose ou en vers libres ! Sinon quelle insulte à Roxane, à Cyrano, au grand Maurice ! Du douze, Monsieur, et du vibrant !



Point besoin de relire la pièce. Tous les ressorts, toutes les misères de Cyrano, ses espoirs, ses chagrins, ses renoncements, Oscar les avait en mémoire. Le dictionnaire de rimes, en revanche, fut le bienvenu, ainsi que le souvenir de cette précieuse maxime :



"Un beau vers, bien équilibré,

« Charme l'ouïe au théâtre et l'?il sur le papier »



Pendant deux heures, les seuls bruits (discrets) qu'entendit la petite souris cachée sous une lame de parquet au fond du minuscule appartement de la rue Descartes, furent, par ordre d'entrée en scène : le crissement fébrile de la plume sur le papier, le son délicat et un peu crispant du thé Earl Grey versé dans la tasse, la chute subséquente du morceau de sucre dans ladite et le tintement de la cuiller sur les bords, le bruit d'aspiration rapide des gorgées brûlantes, le frottement des pages du dictionnaire, le bruit de jet cristallin, bien que peu poétique, que fit Oscar en pissant (deux fois) la porte entrouverte, en bon célibataire, oubliant de penser que Roxane pouvait l'entendre, le drelin de la clochette qui trahissait le changement de position (couchée) de Patchouli, majestueux persan lynx pointe, sur son coussin de shantung.



Avec, en dôme sonore, le balancier du carillon de Westminster hérité du grand père, et qui semblait dire : vous voyez, tout est calme ; je veille ; alors vaquez et ne pensez à rien d'autre ; permettez-moi simplement de marquer les quarts d'heure?



Petits troubles domestiques insignifiants auxquels il convient d'ajouter pour être complet les bruits de la ville, formidables ceux-là mais qui parvenaient trop assourdis pour troubler la quiétude du Couvent des Dames de la Croix, décor de l'Acte V, où la pensée de notre poète vespéral avait élu domicile, histoire de sentir une fois encore l'esprit du lieu.



Le retour des autres bruits de la vie ordinaire signifia l'accomplissement de la tâche sacrée, le bout du chemin. Oscar se réserva cependant de revenir un peu plus tard sur son travail, à tête reposée et à panse un peu moins vide, pour tenter d'imaginer l'état d'esprit de la récipiendaire à la lecture du pensum.



Ce qu'il fit après le dîner, volontairement frugal, par respect pour l'indigence discrète de Cyrano, et avec la présence rassurante d'une camomille prune et d'une bonne pipe.



Le lendemain à la deuxième heure, la première ayant été consacrée à la remise au propre et à la photocopie au Monoprix du coin, la missive, dix fois embrassée et bénie, porteuse de tous les châteaux en Espagne de son auteur, prenait le chemin de la station via la boîte aux lettres.



Comme il regagnait son antre d'un pas sautillant, un vers de sa pièce encore injouée Temps d'amour ou les refus lui revint en mémoire:



J'y trouve de l'espoir à défaut de succès



et instantanément l'envie le reprit de lire encore une fois sa copie, en dépit de la pensée qu'il lui serait pratiquement impossible, en cas de remords ou de retouche, d'arracher le précieux document à l'hydre cubique de métal jaune, bras séculier de l'administration des Postes, qui se l'était vu confier au coin de la rue.



Il s'empara de l'exemplaire du texte qu'il s'était ménagé, se cala dans son fauteuil, se bourra une pipe de Javaanse Jongens et lut la lettre comme s'il en découvrait le contenu, comme s'il était elle.



Ma Cousine,



Pardon si le choc est brutal !

Je vous écris du bout du monde horizontal.

Il y a là de quoi étonner, troubler même,

Mais comment donc cesser d'écrire quand on aime ?

Et qui, si ce n'est vous, pourra sans déplaisir

Me tirer de l'ornière où je meurs de gésir?

Je dois aller au fait : Des chercheurs d'auditoire,

(Des humains qui jamais n'ont aimé, il faut croire,

Faute d'avoir un c?ur et de vous rencontrer)

M'accordent deux feuillets : il me faut concentrer

Dans l'espace exigu d'une paire d'A quatre,

Un appel au secours et le feu de mon âtre...

L'appel d'abord (ce sera fait). Souvenez-vous :

Je suis au sol, mourant. Vous êtes à genoux.

Votre visage est beau, malgré ce bain de larmes.

La lèpre même ne saurait briser vos charmes !

Vous essuyez le sang qui tache mon revers.

Dernière scène, dernier acte, dernier vers :




"J'emporte malgré vous... Et c'est ? c'est ?

? Mon panache."



Et vos larmes d'amour coulent sur ma moustache...

Ce panache, c'était, Roxane, le seul bien

Que j'emportais là-haut, dans le monde olympien

Où j'allais patiemment, pieusement vous attendre.

Hélas ! Le ciel décidément ne fut pas tendre

Qui me fit égarer cet étendard d'honneur.

Roxane, qui je crois, fûtes mon seul bonheur,

Venez à mon secours : Demandez à De Guiche

(Moyennant un baiser sur ses lèvres en friche,

Ce qui, croyez-le bien, me coûte autant qu'à vous)

Son écharpe d'Arras, qu'en présence de tous

Mes gascons affamés, je lui avais rendue.

Dites-lui bien, surtout, qu'elle n'est pas perdue !

L'objet lui reviendra : il me l'aura prêté

Pour un temps assez court, disons... l'éternité.

Voilà le seul moyen, palsambleu, que je sache,

De défendre là-haut un semblant de panache.

Le facteur ? Chronopost, pigeon ou D.H.L.,

Ou, si vous préférez, l'archange Gabriel...



J'aime à imaginer, de l'étoffe légère,

Qu'elle effleure en chemin ma douce messagère?



J'évoquais, tout à l'heure, un tendre souvenir

D'amoureuse agonie, et j'y dois revenir...

Car c'est cet instant là, tout empreint de tristesse,

Qui scella mon bonheur, malgré la brume épaisse

Où ma tête baignait, de ce coup assassin...

J'expire lentement, tout contre votre sein,

Vous sentez l'anima qui de moi se détache,

Et vos larmes d'amour coulent sur ma moustache.

Leur doux message est vain : je ne suis déjà plus...

Aujourd'hui, loin de vous, je ressasse le flux

Des mille souvenirs de ces quinze minutes,

Quart d'heure d'absolu où Roxane, vous fûtes

Ma douce amante aimée, épousée un seul jour ;

Grâce à vous, Cyrano est mort au champ d'amour.

Cette révélation, hélas, de notre flamme,

Précéda de fort peu l'ascension de mon âme,

Et le sort a voulu que je vive allongé

Notre roman d'amour intense et partagé,

Sans pour autant que cela soit... dans votre couche !

Et si ma bouche a pu effleurer votre bouche,

La mort n'a pas permis l'étreinte de nos corps

Et vous m'avez étreint comme on étreint... un mort.

Ai-je, vu de la haut, des regrets de ma vie ?

Non, Roxane : je suis de ceux que l'on envie,

Puisque à ce moment là je fus aimé de vous

Et que pour vous sentir, près de moi, à genoux,

Pour ces minutes d'or, ultimes récompenses,

J'aurais bien enduré deux ou trois existences...

Ecrivez-moi, Roxane, ouvrez-moi votre c?ur,

Dites-moi sans trembler, sans craindre ma ranc?ur :

Quand vous avez appris mon horrible imposture,

Généreuse à vos yeux, mais aux miens forfaiture,

? Puisque j'en ai usé pour être le héros

Et cantonner mes pairs au rang de numéros ?,

Quand vous fut révélé le drame de ma vie,

Ma faim sans fin d'amour, car jamais assouvie,

Mon esprit changea-t-il en beauté ma laideur ?

Vous a-t-il fait aimer cet horrible imposteur,

Ou n'étiez-vous alors que peine et compassion

Pour un pauvre blessé qui souffrait sa passion ?

Un mensonge pieux ne serait plus de mise :

Dites-moi votre c?ur, vérité sans chemise,

Soyez-moi révélée, et je pourrai enfin

Humer l'air pur dans mon pays de séraphins.

Merci, mon cher amour, de cette grâce ultime ;

Je vais, en espérant mériter votre estime,

Vous quitter, car la page est presque dépassée...

Soyez heureuse...et quand vous serez trépassée

Je me réjouirai, et j'irai sur la route

Guetter votre arrivée... Ah oui ! Christian, sans doute,

M'y accompagnera. Plus de rivalité :

Ici, tout est chaleur, accueil, fraternité,

Ou du moins le sera, pour autant que je sache,

Si De Guiche veut bien me prêter son panache...

Mado Robin, entendez-vous l'air des clochettes ?

L'ombre au grand nez va retourner dans ses cachettes ;

Ici, point de balcon : Alors, il va oser ;

Au bas de cette lettre il dépose un baiser...



Modeste, admiratif, et Serviteur, Madame

Hercule Savinien C. De B. (sur mon âme).




Bon. Ca devrait marcher, se dit-il. C'est pas mal tourné, et puis ça vous a des airs vraisemblables? C'est qu'il aurait pu écrire ça, le Cycy, à sa Roro! Allez, Oscarounet, il faut y croire !



Pas mécontent d'avoir trouvé la petite référence à Mado Robin, la cantatrice homonyme, la voix d'or, le contre ut en talons aiguilles, Oscar mit l'air des clochettes de Lakmé sur le lecteur de C.D., ce qui acheva de le mettre dans l'état d'esprit du vainqueur, au moment où il attend (à son tour) la lettre.



« Les gagnants seront avisés par courrier personnel »

Phrase consacrée dans les règlements

de concours et reprise dans celui qui

nous occupe présentement.




Et comme l'émission passait jeudi, c'est mercredi dernier délai que le gagnant (on ne partage pas) allait être avisé. Elémentaire.



Il s'endormit dans son fauteuil, bouffarde aux dents, en rêvant de la « lettre à Oscar » et de ses fracassants débuts littéraires.



*



Mercredi. Huit heures du matin.

Dring, dring, la sonnette du facteur (un sympa qui salue ainsi chaque immeuble client).

Quatre à quatre, Oscar descend.

? Salut !

? Salut?

? Tu dois avoir pour moi un courrier de Radio X***. Tu sais, je vais gagner un concours !

? Eh, bravo ! C'est cool super, mec, un concours ! Moi aussi, dj'fais des concours, mais j'ai djamais gagné. Et toi, et ? tju gagnes quoi ?

? Euh? J'ai écrit un truc, alors jvez êt' lu pendant l'émission et pis jgagnun séjour (il accentue un peu le côté familier et populaire du langage, pour se mettre en symbiose avec son interlocuteur, tel un académicien qui prendrait plaisir à fraterniser avec la plèbe, se fondre dans le moule, comme pour se faire un peu pardonner d'avoir quitté le rang des mortels).

? Eh ben, bon séjour !? Ecéou ?

? Avignon.

? Ah merdj', c'est pas à La Martjinique ou à Djerba ! Tju vas t'fair' ch?alors ! Moi et Vanessa, on va s'éclater l'mois prochain danhun club à Saint-Domingje. Bon, dj'regarde c'que dgeai pour tjoi là? Banon, dj'l'ai pas la lett' que tu djis. P'têt' djemain !

? Ouais, demain?

? Allez, tchâtchâo !

? Ciao?



Tout à ses rêves dominicains, faits de plages grouillantes et de boîtes de nuit dans le genre Apocalypse now, le gentil messager à la casquette bleue et au vélocipède jaune n'avait pas remarqué la déception qui teintait maintenant le visage d'Oscar de cire, alors qu'il regagnait son sixième en traînant la semelle de ses chaussons contre le tapis de l'escalier.



La journée le vit s'égarer, en grillant pipe sur pipe, dans les conjectures les plus fantaisistes, allant de la lettre perdue au trieur PTT distrait, en passant par l'oubli de la secrétaire et le présentateur facétieux désirant ménager la surprise au vainqueur jusqu'au dernier moment, nonobstant ce règlement débile qui prévoyait que etc.



En tout cas, une hypothèse était bannie : qu'Oscar ne figurât point dans le peloton de tête. Cette pensée lui redonna derechef confiance et moral, en vertu de quoi la nuit et la matinée du lendemain se passèrent dans une relative sérénité.



Mais une sérénité tout relative.



Enfin, l'heure tant attendue, l'heure du triomphe, sonna dans le poste, à la pendule de la station.



Dans le petit nid de moineau célibataire, tout s'était arrêté de respirer, de vivre, et même la vieille Westminster, le gardien mécanique, s'était dispensée cette fois-là de remplir son office horloger, de déranger le silence, dans l'attente du palmarès.



*



? Mais quelle bande de c?s à plumes !

?

Telle fut, rapportée ici quasi in extenso, l'oraison funèbre des défunts espoirs prononcée aux alentours de 14 h 55 ce jeudi noir de la poésie française.



Non seulement Oscar ne figurait pas parmi les dix, non seulement il n'avait pas été créé de mention spéciale du jury (jury ? Pffft ! des blaireaux !?) pour ? au moins ? saluer sa performance ou son effort, mais encore, pire que tout, la production primée était d'une banalité et d'une médiocrité à faire pleurer : les textes en vers étaient boiteux et sans consistance, sans aucun esprit, sans aucune référence à la pièce elle-même ! Quant à la prose?



Plus grave encore, le M. M***, l'auteur dramatique à succès, le président de jury qu'on ne présente plus, semblait à l'évidence découvrir les « ?uvres » en même temps que les auditeurs, ce qui en disait long sur son honnêteté, son sérieux et son souci de voir son nom associé à des produits de qualité?



Oscar décida de laisser passer quelques minutes, le temps que s'estompe un peu la violence de son juste courroux, à la suite de quoi il convoqua le Conseil des Sages, composé essentiellement de lui-même, ce qui permit de voter à la quasi-unanimité (et surtout sans veto) les résolutions suivantes, dont nous sommes autorisé à reproduire ci-dessous le texte intégral :



1°) Radio X*** est rayée du cahier des charges à compter de ce jour et jusqu'à nouvel ordre.

2°) Concernant M*** (dramaturge sans talent et sans conscience, arrivé là-hautpar copinage) les deux pièces signées de lui et figurant dans la bibliothèque seront défenestrées sans délai, après avoir été préalablement enduites d'une substance faite de goudron domestique et de plumes de poulet de batterie, le tout étant pré enflammé au chalumeau à crème brûlée,

3°) La copie de concours non primée, dont le Conseil des Sages, à l'unanimité moins une voix , a reconnu le caractère indubitable de chef d'?uvre, sera adressée d'urgence et par tout moyen qui sera jugé approprié, à Madame Madeleine Robin, dite Roxane, au Couvent des Dames de la Croix (adresse) avec copies pour information adressées respectivement à Monsieur Hercule Savinien Cyrano de Bergerac et à Monsieur Edmond Rostand, aux bons soins de sa Sainteté le pape en exercice, en la Curie du Saint-Siège, B.P. *** Cité du Vatican, à charge pour ce dernier de faire suivre.

4°) Au cas, fort improbable, où les récipiendaires ci-dessus désignés à l'alinéa 3°) manifesteraient un comportement similaire en apparence à celui des individus visés aux alinéas 1°) et 2°), le Conseil se gardera bien d'en tirer des conclusions de même nature, étant entendu que selon toute probabilité les envois prévus à l'alinéa 3°) ne leur seront pas parvenus.

Dans ce cas, il est expressément demandé à M. Oscar V*, au titre des présentes, de renouveler ses tentatives :

? jusqu'à ce que des réponses lui parviennent, ou bien

? jusqu'à ce qu'il soit avéré de façon patente que la communication avec l'au-delà ne peut être assurée par des moyens ordinaires.



Fait à Paris, le 9 *** 20**



Pour le Conseil





le Président



*

L'alinéa 4 était superflu, cela va sans dire.

Moins d'un acte plus tard, Oscar recevait, par pigeons voyageurs, trois billets de remerciement (dont deux quatrains), griffonnés sur des papiers jaunis, couverts de marques d'encre, et qu'il déchiffra avec une intense émotion, comme de vieilles lettres de famille.



La première, parfumée de roses, était d'une grâce et d'une insouciance toutes féminines :



« Monsieur,

Quelle émotion à la lecture de sa lettre ! Car on ne me fera pas le coup deux fois, hein : Même si ça m'est adressé par votre entremise sous le fallacieux prétexte d'un concours à la graisse d'oie, c'est encore de lui, ces mots qui me chantent dans les oreilles comme dans les yeux ! Mais quelle manie a-t-il de toujours me parler par personne interposée ! Quand c'est pas Christian, c'est Zéphyrin, quand c'est pas Théophile, c'est Oscar !? Et pourquoi pas Eddy Merckx ou Lawrence d'Arabie tant qu'il y est ? Ce n'est plus de la timidité, c'est de la couillonnerie, pardonnez-moi. Alors, soyez assez aimable de lui transmettre cette supplique : la prochaine fois, qu'il veuille bien s'adresser à moi directement, dans le style "alors poupée, ça vient ou faut qu'j'vienn' te chercher ?"



Il faut vivre avec son temps (le vôtre) !

Bien à vous (et peut-être à lui un jour, qui sait ?).



M. Robin. »






La seconde sentait le feutre mouillé, les longues chevauchées, l'écurie. Elle semblait avoir été cachetée à la pointe de l'épée :



« Monsieur,

Lorsque l'on a été, il n'est plus question d'être,

Et le temps est si court, croyez-en votre aîné !?

Vite alors ! Complétons la tirade des nez :

?Je peux mourir, vieil OS, CAR j'ai trouvé mon

maître !? ?



Mon épée, ma blague à pétun, mon estime, elle si vous la voulez, tout vous revient de droit.

Merci.

HSC de B. »




La dernière avait un je-ne-sais-quoi d'aristocratique, ne serait-ce que par les initiales de la signature.



« Cher Monsieur,

Las ! L'homme est ainsi fait qu'il se plie à la mode ;

Nager dans le courant, c'est tellement commode !?

Mais le grand fleuve coule, et tant pis s'il est lent :

Les mêmes, tôt ou tard, loueront votre talent?



Courage et persévérance.



E.R.



P.S. Ne jetez pas au feu ces mots et ces paraphes :

Portez-les au marché des lettres autographes !?

Je ne garantis pas le nombre des zéros,

Mais vous devriez bien en tirer mille euros? »




© Jean-Philippe Teytaut, extrait de « Bluettes début de siècle »





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Jean-Philippe Teytaut

Jean-Philippe Teytaut

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Publié le 13 / 02 / 2007.


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