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De l'inconvénient d'être nez

ou le panache sous la cendre

Sous les cendres du monde moderne, il est une figure qui, par-delà les faux nez que l'on côtoie, appelle à la révolte individuelle, à résister à l'utilisation de subterfuges faciles et viciée prônés par des bouffons à têtes plates : Cyrano de Bergerac, le héros de la pièce d'Edmond Rostand.


En modèle de souffrance, il nous renseigne sur nous-même et nous invite à tomber le masque qui camoufle notre laideur intime. Son nez, ainsi qu'un gnomon, nous indique la voie de la transfiguration induisant des tourments inévitables, notamment celui de montrer et de regarder un « tel nez » en face.



Néanmoins, c'est en homme de défi que Cyrano à décidé d'être admirable en tout, pour tout. Il n'est que temps de se rallier à son panache et de suivre son exemple? jusqu'à la mort même.





Ouverture

Nez en moins, Cyrano eût été une triste figure, un chevalier sans relief ou un mousquetaire camus ; un aventurier en quête de gloires épiques, un bretteur empanaché de renommé romanesque aux algarades irritantes ou un mercenaire vulgaire quêtant solde: un « Don Quichot » à la lance raccourcie.



Néanmoins, il réussit à provoquer l'empathie du spectateur et du lecteur par sa dimension d'être souffrant. Sa protubérance est un « cap » effroyable, un « pic » vertigineux et une « enseigne » agrippant les regards, amenant rires et larmes, pressant chacun à s'interroger sur ses propres faiblesses, et à se positionner sur ce « roc » de souffrances consubstantielles au héros « nasigère ».



D'aucun ont renvoyé le héros de Rostand dans les limbes du théâtre d'amusement et de la bouffonnerie inutile d'un fanfaron déblatérant la tirade des nez. Dès la représentation achevée, on se dépêche d'en oublier les leçons par trop engageantes. Ne retenir que la pièce scurille (bouffonne) est un monument d'erreur. Car le gascon est une « péninsule » éruptive ; ses coups de semonces sont signes de révolte et nous forcent à l'exaltation comme gage de survie. Le regard du spectateur se braque sur l'appendice de Cyrano, alors que celui-ci invite à voir plus loin? que son nez.



En refermant l'ouvrage tellurique on est mis face à son propre gouffre. L'être plein de vide pleure sur son inconsistance. C'est le verbe haut que Cyrano secoue les âmes percluses en leurs complaisantes lâchetés. Sa frénésie est le deleatur apposé sur les contrats d'effacements proposés par les tenants de la dilution de soi, ceci au profit de communautés qui ne voient , dans cette mobilité convulsive, qu'un divertissement permettant d'oublier ce nez fossoyeur. DIVERSION répondent ceux qui ont choisi Cyrano comme père ontogénique, comme géniteur ontologique. L'action est son arme de poing dressée devant l'envahissante ennemie qu'est la douleur de vivre.



Sa lucidité augmente sa souffrance :

« Mais que faudrait-il faire ? »

se laisser submerger ? « NON MERCI »

Pactiser ? « NON MERCI »

Céder ? « NON MERCI !»



Sa souffrance ? Fi !

Exemplaire, Cyrano nous enseigne l'inéluctable, celui lié à la condition d'humain condamné à la mélancolie produite par l'ennui et la vanité de la vie ; il nous dicte les moyens de dépasser puis de révoquer ces contraintes sclérosantes, pour enfin transmuer ces entraves en étais sustentateurs de l'érection d'une existence empanachée.



Avec un tel panache affiché d'emblée ? la tirade des nez -, avec tant de force ensuite ? le duel- , il apparaît évident que plus la douleur est profonde, plus la grandeur se veut éclatante. Monsieur de Bergerac a décidé « d'être admirable en tout, pour tout », et c'est avec ce nez qu'il va accéder aux cimes où l'air se fait plus rare. Désirer cela demande beaucoup d'abandon car viser l'excellence ne se conçoit pas sans une certaine légèreté, dans les deux sens du mot : sans bagages, sans « partis compliqués à prendre », sans attaches ; légèreté dans l'approche badine, avec la désinvolture apparente qui camoufle l'effort surhumain du geste mais qui vise le sublime.



Se souciant peu du lendemain, notre capitan jette sa bourse ? pivot de l'?uvre de Rostand ?avec cette aisance qui ferme la bouche de la cantonade qui ne peut qu'admirer le geste. Ce n'est que dans l'intimité, avec son ami Lebret, par lui élu, qu'il s'épanche et déclare son dénuement, tout en avouant sa recherche du beau geste ; se fichant de son inconfort :



« Jeter ce sac d'écu, quelle sottise !

Oui mais quel geste »




Tout l'acte premier est parsemé de la geste de Cyrano qui aurait été toute autre sans cette dimension seconde de notre homme : celui de poète. D'artiste en somme. Est-ce l'habitude de côtoyer les muses qui le nimbe de ce sublime ineffable ? Il faut le croire. La dimension d'artiste de Cyrano est capitale pour saisir ce sens de l'aiguë, de l'esthétique ; son désir d'excellence l'a propulsé sur ces terres arides où se rencontre peu de monde.



C'est pourquoi le duel rimé attire les suffrages de l'assemblé, médusée déjà par le geste de la bourse jetée. La scène du balcon, plus loin dans l'acte III, confirme la parenté avec la Beauté que démontre le poète dans cette autre escrime qu'est le verbe. Ceci n'est dû qu'à un entraînement acharné. En effet, l'entraînement est l'antichambre de l'habitude : qui veut le beau geste doit être habité. La bonne attitude provient des bonnes profondeurs ; on est tous capable de cette apnée.



L'homo sapiens est habité par la courte respiration. Sa sapiens est un ballon de connaissances, de cultures qui va l'élever, l'enlever de son atonie.



Le laisser-aller, ne rien faire étant son état naturel, il doit en permanence se mettre en mouvement et acquérir l'habitus par une praxis oxygénante. L'éducation est circonscription de soi, entraînement à l'élévation.



Cyrano devenu bretteur hors-pair en poésie comme en escrime montre dans les faits cette supériorité de l'art insufflé dans sa vie en vue de façonner un triptyque biographique sur des trames tendues de tragédie.



Ce texte est extrait d'un opus plus long, avec pour soutitre : Maîeutique cyranienne. Ce titre est inspiré "de l'inconvénient d'être né" de Cioran ; ce n'est que plus tard que j'ai découvert que Cyrano est l'anagramme de Cioran; comme quoi... On peut passer de Cioran à Cyrano, du pessimisme le plus aigu à un réalisme optimiste le plus lumineux, en somme.





Térence Carbin par lui-même

« Me présenter ? vous n'y pensez-pas, car moi-même je ne sais qui je suis (mais je sais où je vais).

Poète, philosophe, bretteur hors-pair, répondant du "tac au tact", voyageur d'en France, auteur radiophonique (eh oui!) et depuis peu, travaillant pour un créateur d'accessoires de mode, model, créateur moi-même de vêtements "théatraux", contemplatif, promenant mon panache, ici ou là, le nez en l'air en évitant de m'enrhumer de l'air du temps,... en un mot je suis tout et ne suis rien. Ma vocation ? L'INUTILE ! »





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FRANCE


  Auteur

Terence Carbin

Terence Carbin



Publié le 06 / 01 / 2007.


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